Éducation aux images 2.1
- recherche-action -


« Usages numériques, salles de cinéma, pratiques des publics adolescents, médiation : des convergences à inventer »

Région Île-de-France 2017-2022

Synthèses des groupes de travail

Le 25 mars 2019 au Forum des images, les groupes de travail ont élaboré, pendant une « journée marathon », des réflexions et projets innovants, fondements des actions qui seront expérimentées. Voici les synthèses écrites de leurs élaborations.

Synthèse réalisées grâce à la contribution de Sonia Winter, doctorante-chercheuse en art vidéo et psychanalyse.

Groupe 2 : La question du territoire rapportée aux enjeux de l’innovation artistique et culturelle

Groupe animé par Claudie Le Bissonnais (Coordination Passeurs d’images Île-de-France).

Synthèse de la Journée

L’objectif de la journée sur la question du territoire rapportée à l’innovation artistique et culturelle a été clairement énoncé aux participants d’entrée de jeu : réfléchir collectivement à cette problématique dans le but d’en tirer de vraies pistes d’expérimentation, susceptibles d’être mises en place de façon concrète sur le terrain, ce qui posait d’emblée la question tant du cadre réflexif que de la méthodologie que nous allions devoir imaginer pour parvenir à nos fins.

Démarrer par un brainstorming global sur l’articulation entre les deux notions a paru de l’avis général un préalable indispensable : Pour quelles raisons accoler aujourd’hui si spontanément la question du territoire à celui de l’innovation artistique et culturelle ? Ces raisons proviennent sans doute d’un constat : On peut difficilement penser la question de la médiation ou des politiques d’accès à la culture dans ses formes les plus récentes sans se référer à la notion de territoire. Devenue l’alpha et l’oméga de la reforme récente des collectivités territoriales, l’unité pertinente de la loi Nôtre, c’est aujourd’hui à cette échelle que se pense prioritairement l’intervention publique (et moins à celle du quartier, de la commune ou du département). Les enjeux en matière de politique culturelle se focalisent par conséquent sur cette unité-là, incarnant non seulement un espace politique, juridique, administratif mais aussi géographique borné de frontières auquel se sentent appartenir ceux qui y résident – donc par conséquent doué d’une dimension sociale. Un espace qui créé également du commun, du symbolique et de l’imaginaire et qui fait sens tant pour ses habitants que dans les représentations qu’il génère (ex : le territoire de la banlieue)…

Ont été formulées ensuite par le groupe toutes les réflexions qu’inspirent cette première tentative de caractérisation. En effet, réfléchir à une approche de la culture à l’aune du territoire c’est :

  • poser la question de l’équité culturelle, des droits culturels, de l’accès à la culture pour les habitants et la participation citoyenne, avec une focale sur les jeunes et sur les minorités et une inflexion sur la nécessité d’irriguer les territoires péri-urbains et ruraux en permettant de relayer l’offre culturelle et artistique.
  • s’intéresser aux convergences et aux croisements des politiques territorialisées qui visent les mêmes catégories de publics – les publics défavorisés par exemple – et à leur transversalité en faveur d’un même territoire. C’est réunir en travaillant en synergie avec tous les acteurs concernés les conditions propices à créer du maillage territorial et de renforcer l’identité de ce territoire et de ses habitants,
  • s’interroger sur l’incidence de certaines évolutions et grandes tendances du renouvellement urbain, en particulier les phénomènes de métropolisation
    faire le constat des nouveaux usages et en particulier ceux liés aux numériques et de leur diversité et distinguer toutes leurs potentialités venant nourrir la notion de « territoire créatif ».
  • repenser la médiation culturelle au prisme du territoire, c’est répondre à de nouvelles logiques, à de nouvelles réalités en déconstruisant des processus certes bien rodés mais devenus inopérants, au profit de nouvelles propositions d’action, plus innovantes et mieux adaptées aux publics et à ses pratiques, notamment celles liées au numérique.

A ce point de la réflexion, nous nous sommes collectivement employés à problématiser ces constats plutôt généraux en les confrontant aux évolutions observables dans le champ de l’éducation aux images.
Nous avons ensuite choisi de nous diviser en cinq sous-groupes pour explorer les différentes voies ouvertes et en sortir une idée concrète d’expérimentation offrant une sorte de réponse sur le mode du changement et de l’innovation au constat préalablement posé :

1er constat : Il est nécessaire de revisiter les pratiques de médiation pour mieux les réinventer.

Il existe à l’heure actuelle une tension entre deux modèles d’ateliers de pratique artistique liés aux images reposant sur des approches très contrastées : l’une académique avec l’intervenant qui encadre et dispense un savoir, l’autre reposant sur l’idée de co-création ou co-conception entre un artiste et des publics. Cette dernière approche met au centre la question de la participation des artistes sur un territoire et introduit à d’autres pratiques créatives fondées sur la participation des habitants. Comment renouveler de telles propositions et faire en sorte que les artistes soient actifs dans la participation des habitants et concourent à installer de tels processus dans la durée ? Comment créer un sens commun au territoire, en constituer une connaissance commune, partagée par tous ? Comment installer de telles interventions dans la durée ?

Proposition : L’atelier inversé : L’enjeu serait d’initier une démarche sur une longue durée (3mois renouvelable) qui mettent les ados en situation de former leurs parents à l’usage des écrans et du numérique et qu’ils soient actifs à toutes les étapes de celles-ci : Cela démarrerait par un appel à films fabriqués par les ados eux-mêmes. les films sélectionnés sont ensuite montrés aux parents et ce sont les ados qui organisent les débats. Ensuite, s’amorcerait tout un travail à partir des films sur les usages du numérique. Les ados questionneraient leur parents, leur famille sur ce qu’ils perçoivent du numérique et de ses usages pour eux-mêmes et leurs ados jusqu’à toucher un entourage de plus en plus éloigné (amis, voisins, etc.) et seraient amenés à structurer, à organiser tous ces avis et opinions dans le cadre d’un grand débat conclusif entre ados et parents. Portée par une association, un service municipal, voie une autre collectivité territoriale, cette initiative portés par trois artistes intervenants distincts associerait les jeunes de façon très libre, en prenant le parti d’aller à leur rencontre dans leur lieux de vie aussi bien que dans leur savoir-faire et culture constitués et légitimés.

2ème constat : L’obligation pour un lieu culturel ou une institution culturelle à rayonner sur un territoire

Aujourd’hui chaque lieu de diffusion qu’il dépende directement d’une collectivité territoriale ou qu’il soit associatif est doté de missions bien identifiées dont celle de rayonner sur un territoire. Mais l’enjeu est-il seulement de rayonner, ou se préoccuper d’inventer d’autres modalités afin d’aller vers les publics plutôt qu’espérer qu’ils viennent à lui ? L’enjeu est-il, pour ces institutions de répondre à une formulation souvent assez vague de leur cahier des charges ou de s’impliquer vraiment dans la vie d’un territoire, apprendre à connaitre les habitants et à identifier les besoins mais aussi les ressources et les relais de terrain (associations, personnes emblématiques, instances participatives, structures sociales) ?

Proposition (préconisation plus qu’expérimentation) : Voir comment à partir d’une proposition qui parle aux ados (réalité virtuelle par ex), on peut être innovant sur tout le processus : Depuis la proposition d’atelier elle-même qui pourrait être conçue en partant des besoins spécifiques de ce public (cf. l’exposé de Serge Tisseron) jusqu’à sa restitution qui pourrait être l’occasion de leur faire découvrir des lieux (ceux de l’institution) qu’ils ne fréquentent pas spontanément. Comment les ados peuvent infléchir le cours du projet, réagir par rapport à cette proposition pour véritablement se l’approprier ?

Comment à l’inverse la présence et l’engagement des jeunes sur un projet peut-il contribuer à le rendre souple et déclinable à différentes échelles ?

3ème constat : Il est impératif de d’inventer de nouveaux outils plus pertinents pour mieux évaluer le changement des usages et des pratiques dans la sphère de l’éducation artistique et culturelle liée aux images, notamment ceux liés aux démarches participatives.

Pour les concevoir, en s’écartant par conséquent des modalités et des critères d’évaluation classiques qui ne rendent que très peu compte de la diversité des acteurs, des lieux impliqués et des publics touchés par de telles démarches, il convient d’avoir une réflexion approfondie sur la singularité des actions des actions menées et sur les manières dont on implique dès le départ les habitants, notamment en choisissant des modes d’action plus imprégnés par leur présence, voire d’être acteur des projets en construisant en amont ceux qui leur sont destinées et en les impliquant ensuite dans leur suivi leur réalisation jusqu’à leur restitution.

Proposition : Conception d’une plateforme numérique ouverte, participative et collaborative. Outil de diagnostic partagé, accessible aux porteurs de projet classique comme à toute catégorie de publics, elle a vocation à élargir leur participation, stimuler leur créativité en leur permettant d’évaluer les actions à leur bénéfice. Un tel outil serait précieux pour encourager la participation des ados qui pourraient être séduits par son mode d’utilisation en phase avec leur connaissance des interfaces numériques et autres réseaux sociaux qu’ils connaissent et qu’ils maîtrisent. Cet outil aurait aussi la vertu de laisser une trace permanente des process à l’œuvre dans les ateliers donc de favoriser leur pérennité voire leur résilience. Outil également utile pour les collectivités territoriales qui pourraient ainsi se doter d’une grille d’évaluation dynamique et adaptée aux changements de paradigme qu’elles connaissent régulièrement aujourd’hui dans leur missions et interventions auprès des publics et des territoires. Cette plate-forme pourrait enfin s’ajuster à des échelles territoriales diverses : de la grande agglo ou de l’EPCI jusqu’à la commune ou au quartier…

4ème constat : Il faut réfléchir à de nouvelles stratégies pour mieux diffuser des oeuvres préexistantes ou réalisées dans le contexte d’une action de territoire.

Sur un territoire donné, comment mettre en partage un certain nombre d’éléments de programmation, artistiques, purement cinématographiques ou relevant de la photographie, des arts visuels ? Comment générer de la circulation d’un lieu culturel à l’autre et faire en sorte que des publics y aient un égal accès et se nourrissent de la diversité des propositions culturelles en présence (maillage culturel). Cette question renvoie aussi à une réalité, celles des « zones blanches » où de telles propositions sont quasi inexistantes et sont lorsqu’elles existent très peu investies par les adolescents, peu situés dans la chaîne générationnelle et souvent perdus dans leurs identités multiples. A ces derniers et à leurs familles, pourraient être proposé des parcours innovants de spectateurs à la découverte des oeuvres qui convoqueraient toutes les ressources d’un territoire avec comme dominante, une forte dimension ludique.

Proposition : Un jeu de piste en zone blanche dans le but de travailler sur la question des mobilités et des richesses territoriales, mêler des équipes de pairs adolescents, ou d’autres composés de familles, sur le terrain ou de manière virtuelle. dans un temps resserré (1 mois) mais ponctué de temps forts (à l’occasion de projections spécifiques, où on laisserait par exemple les ados programmer un lieu dédié afin les rendre actifs et en mouvement). Une partie du jeu serait sur plateforme pour permettre une grande souplesse et liberté de participation. Les équipes gagnantes pourraient gagner des places de cinéma ou un accès dans les lieux de diffusion non commerciaux (médiathèque) et pourraient éventuellement y programmer un film de leur choix. La diffusion des films sélectionnés pourrait également s’envisager via la plateforme, une autre forme de valorisation…Le pilotage général de ce projet pourrait être effectué par une collectivité mais pris en charge d’un point de vue opérationnel par une médiathèque, un cinéma et une structure du champs social, son ingénierie devant obligatoirement procéder d’une co-construction en cohérent avec ses intentions.

5ème constat : Il faut favoriser les liens intergénérationnels dans un même territoire physique et symbolique pour une meilleure appropriation

Parmi les modalités les plus fréquentes de l’éducation aux images ciblée très souvent la classe d’âge des collégiens, l’intergénérationnel occupe une place singulière. Croire qu’un surcroit d’échanges, une proximité accrue, une transmission de valeur et de points de vue avec des personnes âgées sont source d’enrichissement mutuel ne fait aucun doute.
Pour autant la question d’un dialogue intergénérationnel ne commence t-elle pas quand deux tranches d’âges ne se parlent pas ou peu ou plus du tout ? Au collègue une 04 (née en 2004) ne va pas calculer un 08 (né en 2008). Idem entre un élève de 4ème et un élève de 3ème et ainsi de suite. Fini les parrainages d’un aîné envers un plus petit, un élève de troisième accueillant un sixième, lui assurant si ce n’est une protection, une firme de tutorat bienveillant. Plus question semble –t-il de croiser le regard, de partager un temps commun, de casser la hiérarchie imposée par les classes. Comment demander à des adolescents d’aller nouer un dialogue avec inconnus et personnes agées au motif qu’elles sont garantes d’une certaine sagesse, voire d’un idéal fantasmé alors même qu’ils n’accordent pas la moindre attention à leur alter ego quasiment du même âge ?

Proposition : La boîte à rencontre. En réponse à ce constat nous proposons sous la forme d’une « injonction ludique » un dispositif permettant un nouveau croisement intergénérationnel à l’échelle d’une communauté adolescente. Une sorte de photo maton serait installé pour quelques mois (semaines ?) dans un lieu identifié
(établissements scolaire, culturel). Par tirage au sort, des binômes seont invités à se rencontrer dans la « boîte »
Tous les élèves de la communauté scolaire seront invités (injonction) à jouer (ludique).
Le Jeu :
Il se fera à l’instar de la rencontre en plusieurs étapes :

  • Trace picturale (silhouette, dessin/peinture) à travers une vitre Tirage A3/ A4 ou affiche
  • Trace écrite et/ou orale, fruit de la rencontre entre 2 inconnu.e.s, guidés par un questionnaire à préciser.
  • La rencontre, la fréquence, la profondeur des échanges sont à préciser.
  • Exposition publique associant textes et images.

Ce dispositif peut être décliné simultanément en croisant plusieurs publics.